RheoMan: un projet sur cinq ans, financé par l'ERC (Advanced Grant), visant à modéliser la rhéologie du manteau terrestre

Dec 15, 2011 Les prémices de RheoMan Résultats

La thèse de Jonathan Amodeo

Jusqu'à très récemment, la plasticité des minéraux sous pression n'était étudiée qu'au travers d'essais de traction-compression réalisés en presses gros volume ou en cellule à enclumes de diamant. Malgré des avancées expérimentales significatives, cette approche reste extrêmement difficile du fait des conditions de pression, de température et surtout de vitesses de déformation de la Terre profonde.

 

Nous avons développé une approche numérique multi-échelle de la plasticité de MgO monocristallin (pôle magnésien du ferropériclase, phase majeure du manteau inférieur avec la phase perovskite), des conditions du laboratoire à celles du manteau terrestre.

Le travail de thèse a principalement été organisé en deux parties (i) le développement d'une Modélisation Multi-Echelle (MME) et sa validation face aux données disponibles à pression ambiante (ii) l'application du modèle aux conditions du manteau.

La MME est composée de trois étapes numériques successives. La première correspond au calcul à l'échelle atomique des structures de cœur des dislocations et des contraintes de Peierls, à l'aide de la méthode de Peierls-Nabarro-Galerkin. Elle confirme que le système de glissement ½<110>110 est le système "facile" à activer avec une contrainte de Peierls de l'ordre de 150 MPa pour la dislocation vis. Le système ½<110>100, second système de glissement propre à la structure NaCl, est caractérisé par une contrainte de Peierls supérieure au GPa pour la dislocation vis. Les calculs réalisés sur les dislocations coins des deux systèmes mènent à des contraintes inférieures, de l'ordre de quelques dizaines de MPa.

Le deuxième chaînon de la MME consiste à modéliser l’activation thermique du glissement des dislocations via le modèle des double-décrochements. Cette méthode permet de déterminer l'enthalpie d'activation ΔH(τ) qui permet à la dislocation de vaincre la friction de réseau sous la double influence de la température et de la contrainte. On en déduit ensuite une loi de mobilité thermiquement activée v(τ,T) du glissement des dislocations. Les résultats sur la mobilité des dislocations vis, dans MgO et à pression ambiante, sont en bon accord avec les mesures expérimentales réalisées dans les échantillons de MgO les plus purs.

Enfin, la dernière étape de la MME repose sur la modélisation à l'échelle du grain par Dynamique des Dislocations (DD). La loi de mobilité de type double-décrochements, paramétrée aux stades précédents, a été implémentée dans microMegas (code de DD développé au LEM, Châtillon) et des simulations ont été réalisées afin d'étudier le comportement collectif des dislocations à différentes températures. Deux régimes de déformation ont clairement été identifiés et étudiés (i) en-dessous d'une température critique Ta, la déformation de MgO est thermiquement activée ; elle est gouvernée par le glissement continu de longues portions vis. La contrainte d'écoulement (stade I) est définie au premier ordre par l'équation d'Orowan (ii) au-dessus de Ta, ce sont les interactions entre dislocation qui gouvernent l'écoulement plastique et la contrainte critique (encore appelée contrainte athermique) est définie par la résistance de la forêt. Les simulations de DD ont permis de calculer les contraintes critiques de cisaillement pour les deux systèmes de glissement dans MgO et d'étudier divers aspects microstructuraux liés aux interactions entre dislocations (durcissement, glissement discontinu à HT, etc.). Nos résultats ont toujours été en parfaite adéquation avec les observations expérimentales.

Après avoir montré qu'elle pouvait décrire les premiers stades de la plasticité de MgO monocristallin, la MME a été appliquée dans les conditions de pression, de température et de vitesse de déformation du manteau inférieur.

Sous pression (jusque 100 GPa), les structures de cœur de dislocations évoluent. Il en résulte une augmentation de la friction de réseau. Cette propriété a une influence directe sur les CRSS qui sont plus élevées qu'à pression ambiante. Une inversion de système de glissement est estimée autour de 30 GPa ; le système ½<110>100 devient le système « facile » à haute pression. En pression et dans les conditions de vitesse de déformation du laboratoire, MgO se déforme dans le régime thermiquement activé (régime de friction de réseau), sous forte contrainte. Les calculs réalisés dans les conditions de vitesse de déformation du manteau terrestre prédisent un comportement très différent. La diminution de la vitesse de déformation à 10-16 s-1 induit une baisse des contraintes critiques de cisaillement et une contraction du régime thermiquement activé ; à 10-16 s-1, MgO se déforme presque exclusivement dans le régime athermique, à basse contrainte. La vitesse de déformation est donc un paramètre majeur quant au comportement mécanique des minéraux du manteau.

Ces travaux montrent qu'il est dorénavant possible de modéliser la plasticité des minéraux dans les conditions de déformation du manteau terrestre. Ils soulignent notamment le rôle de la vitesse de déformation sur les mécanismes de déformation des roches, paramètre difficile à prendre en compte expérimentalement.